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Avant-propos

A Confederate and a Union soldier together.
Un soldat confédéré et un soldat de l’Union ensemble.Un soldat confédéré et un soldat de l’Union ensemble.

Tout comme il le fit dans sa poésie à la fin de la guerre de Sécession, c’est ainsi que Whitman, dans sa prose, collecta les images de la réunification, de la réconciliation entre les compatriotes qui étaient devenus ennemis mais qui avaient besoin, maintenant que la guerre se terminait, de redevenir frères. Et, comme le « Consolateur » dans « Le Chant du Divin à quatre faces », Whitman, l’aide soignant, et de l’Union et des soldats confédérés des hôpitaux de Washington, dessina, pour ses lecteurs, les gestes de l’amour qui unissent, cet amour indispensable pour réparer la fracture nationale. Dans cette note des Mémorandums durant la guerre, qu’il recopia d’un de ses carnets d’hôpital de mai de 1865 (juste après la fin des hostilités finales et alors que le président Andrew Johnson publiait la déclaration de l’amnistie générale pour la plupart de ceux qui avaient pris part à la rébellion), le poète concocte une rencontre assez populaire— la rencontre des frères, l’un combattant pour l’Union et l’autre pour la Confédération. De tels exemples de liens fraternels brisés et prenant le visage de la haine fratricide étaient particulièrement fréquents, répandus dans les États frontaliers tel le Maryland, où de nombreuses familles furent divisées, déchirées de par leurs fidélités envers le Nord et envers le Sud.

Le mois précédent, le général Grant avait ordonné un assaut tous azimuts de l’Union contre les forces confédérées qui avaient longtemps été retranchées au sud de Petersburg, en Virginie. Le Major Clifton Prentiss des 6èmes Volontaires de l’Union de Maryland dirigea personnellement l’attaque et franchit les fortifications ennemies, pour en fait recevoir une balle dans le poumon. Le frère cadet de Prentiss, William, était l’un des soldats confédérés qui défendait la fortification, et lors du même combat, il reçut, lui, un éclat d’obus au genou. Certains soldats de l’Union de Maryland, après leur victoire, prodiguèrent des soins aux blessés sur le champ de bataille et quand ils trouvèrent William Prentiss et que celui-ci leur apprit qu’il avait un frère dans la 6ème de Maryland, les soldats réalisèrent que le frère de Prentiss était en fait leur major, qui, lui, avait été grièvement blessé non loin de là. William leur dit qu’il désirait voir son frère. Et quand le mot arriva jusqu’aux oreilles de Clifton, le soldat de l’Union refusa quand même de voir son frère confédéré, qu’il considérait maintenant comme un traître. Le commandant de l’Union pria Clifton à plus de clémence et ordonna que William fut amené près de son frère. Clifton dévisagea William, mais William lui sourit, puis les deux hommes, qui ne s’étaient pas vus depuis la guerre, fondirent en larmes et furent rapidement réunis. Peu de temps après, William eut la jambe amputée, et Clifton souffrit d’une infection au poumon.

Clifton et William terminèrent à l’hôpital d’Armory Square ensemble, où Whitman prit soin de chacun d’eux. Mais le début de son cahier de notes insiste sur ses rencontres chaleureuses avec le confédéré William, avec lequel Whitman pouvait prodiguer de l’affection au sein de cette fracture régionale, ce qu’il croyait être le seul espoir pour l’avenir du pays. Lorsque William dit au poète qu’il est « un soldat rebelle », Whitman répondit que « cela ne faisait aucune différence ». Par le calme de la réponse de Whitman, nous pouvons entendre l’effacement, le fondu de la « différence », l’espoir de la disparition progressive de cette distinction entre l’Union et la Confédération, alors que la nation entamait son long travail de guérison. Clifton et William avaient combattu de toutes leurs forces durant quatre années, mais ici, la guerre finie, ils étaient « tous deux réunis » à l’Armory Square après ces « quatre ans d’absence ». Ni l’un, ni l’autre ne survécurent aux blessures qu’ils avaient reçues durant la même bataille. Le pays tout entier, semblait-il à Whitman, avait été hospitalisé pendant toute la durée de la guerre : le poète avait écrit à Ralph Waldo Emerson en 1863 que « l’Amérique » avait « déjà été amenée à l’hôpital dans sa prime jeunesse », et, comme Whitman errait dans les pavillons des hôpitaux qui avaient accueilli et pris en charge l’essentiel de la nation, il put rencontrer les jeunes gens du Nord et du Sud et de l’Ouest, les jeunes noirs et les jeunes blancs, les immigrants et les natifs, un microcosme de la grande et vaste nation, battue, déchirée, souffrante, et à l’agonie. William ne quitta jamais l’Armory Square et y mourut en juin. Clifton réussit à regagner son domicile à Brooklyn, mais décéda peu de temps après, au mois d’août. Ils devinrent une partie des « millions de morts » de Whitman. Mais, de plus en plus, pour Whitman et pour le reste de l’Amérique qui sortait des hôpitaux de guerre pour essayer de regarder l’avenir en face et de le construire, la question fut maintenant de savoir comment poursuivre l’expérience démocratique qui venait de passer son plus redoutable examen. Si l’Amérique peut s’être retrouvée, dans sa « prime jeunesse », à occuper les hôpitaux de la guerre, le pays avait maintenant quitté l’hôpital et comme il allait devoir affronter sa propre reconstruction massive, il allait être bien obligé de mûrir et rapidement.

—EF

« Deux frères, l’un du Sud, l’autre du Nord »

Deux frères, l’un du Sud, l’autre du Nord — les 28 et 29 mai. — Je suis resté longtemps ce soir au chevet d’un nouveau patient, un jeune de Baltimore, âgé d’environ 19 ans, WSP, (2e Md. du Sud,) très faible, la jambe droite amputée, il peut à peine dormir — il a pris une bonne dose de morphine, qui, comme d’habitude, coûte plus qu’elle ne le ne vaut. De toute évidence très intelligent et bien élevé — très affectueux — il me tenait la main, et la plaçait sur son visage, ne voulant pas me laisser partir. Comme je m’attardais, allégeant ainsi sa douleur, il me dit soudainement : « Je ne crois pas que vous savez qui je suis — je ne veux pas profiter de vous — je suis un soldat rebelle. » Je répondis que je l’ignorais mais que cela ne faisait aucune différence....... Je lui rendis visite tous les jours pendant environ deux semaines après ça, et tout le temps qu’il était encore en vie, (il portait le masque de la mort, et il était tout seul), je l’aimais beaucoup, je l’embrassais toujours, et il me rendait mes baisers.

Dans une salle de garde voisine j’ai trouvé son frère, un officier de rang, un soldat de l’Union, un homme courageux et religieux, (Col. Clifton K. Prentiss, Sixième Md. Infanterie, Sixième Corps, blessé durant l’une des batailles à Pétersbourg, le 2 avril —il est resté ici longtemps et a beaucoup souffert, il est mort à Brooklyn, le 20 août, '65). Ils furent blessés durant la même bataille. L’un était un unioniste fervent, l’autre un Sécessioniste ; les deux se sont battus chacun de leurs côtés respectifs, tous deux grièvement blessés, et les deux réunis ici après quatre ans d’absence. Chacun est mort pour sa cause.

Postface

Sur la cheminée du salon de mes grands-parents, dans le nord du Maryland, se trouvait exposée une balle tachée de sang, découpée d’un arbre sur le champ de bataille de Gettysburg — un symbole, je le savais, dès mon jeune âge, du fratricide au cœur de l’histoire américaine. Mon grand-père était médecin de campagne et soignait tout le monde dans la communauté, riches et pauvres, noirs et blancs, et après sa mort, on apprit qu’il avait effacé la dette de milliers de dollars que lui devaient ses patients indigents. Son fils aîné, prêtre épiscopal et mon parrain, saluait cela comme la démonstration du chemin que sa foi l’avait amené à prendre pour en arriver à une telle façon de faire. Ma grand-mère, infirmière et organiste de l’église, approuvait de tout cœur. Mais sa mort a également engendré une discorde au sein de la famille, lorsque ma mère s’opposa à ce que son frère serve d’exécuteur de la succession, selon la volonté de leur père. Cela a entaché la relation avec ma mère et mon oncle. Ils ne se sont pas réconciliés avant que ma mère ne devienne sénile.

Les divergences d’opinion, qui font partie intégrante de la vie de famille, se durcissent dès que l’argent et les croyances sont les causes du conflit, comme ce qui arrive durant toutes les guerres civiles. Par exemple, un poète serbe et marié à une écrivaine musulmane, à Sarajevo, se retrouva, durant le siège, séparé de son père et ses frères qui descendirent dans les collines environnantes pour terroriser les civils pris au piège dans la ville sans eau, électricité ou gaz. Une nuit dans son appartement non chauffé, le poète m’a dit que, chaque fois qu’il avait publié un article dans le journal quotidien, un coup avait été tiré au travers de son toit, probablement par quelqu’un dans sa famille. Il a ajouté tristement que s’il était plus prolifique sa place ressemblerait à une maison en pain d’épice !

La petite séquence, écrite par Whitman, où les deux frères combattent, chacun de leur côté et meurent des blessures reçues durant la même bataille, illustre le lourd tribut que la guerre fait payer. Ce qui est significatif, c’est que le frère cadet, un soldat rebelle blessé par des éclats d’obus, qui demande à voir son frère aîné, un homme religieux qui ne peut pas s’en remettre à sa foi pour dépasser sa colère, alors même qu'une balle est logée dans son poumon. « Chaque mot est un départ pour une rencontre, / annulée souvent », a écrit le poète grec Yannis Ritsos, « et c’est un mot vrai seulement / quand, pour cette rencontre, il insiste ». William Prentiss a insisté pour rencontrer son frère, ce qui change tout pour Whitman, qui ne voyait aucune différence entre les guerriers du Nord et du Sud. La paix s’installerait à l’unique condition que vainqueurs et vaincus accomplissent des gestes, grands et petits, pour dépasser leur hostilité et leur douleur. Alors la parole du poète sonnerait juste.

—CM

Question

En 1963, l’écrivaine américaine Eudora Welty publia un article dans le New Yorker inspiré par l’assassinat du leader des droits de l’homme Medger Evers. « D’où vient la voix » raconte l’événement terrible et ses conséquences du point de vue du tueur, parce que, comme le dit l’écrivain, elle savait ce qui se passait dans son esprit. Elle était une femme du Sud blanche, d’esprit libéral, qui n’avait pas peur de trouver des points communs dans son âme avec celle d’un homme qu’elle considérait comme l’incarnation du mal. Ceci est donc un merveilleux exemple du pouvoir de l’art pour faire la lumière sur les aspects les plus sombres de la condition humaine. Voici un exercice littéraire destiné à étendre nos pouvoirs d’empathie : Décrivez une discorde au sein de votre famille en partant de deux points de vue ou plus encore des personnes en conflit. Donnez à chaque droit à la parole.

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